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 « Joson et La Poux » 

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Les parfums, les sourires de Mère-Grand !
suite 1 Ma Grand-Mère VALERIE
Mère-Grand   a   vu   le   jour   dans   les   Hautes-Vosges   entre   deux   montagnes   verdoyantes.   Elle   est   née   avant   la   première   guerre   mondiale.   Elle   est   née   sans plastique, sans téléphone, sans télé, sans internet, sans cliniques, sans congés de maternité. Valérie,   tu   aimais   tes   parents   mais   ton   père   Victor Augustin   Barbier   est   parti   bien   trop   tôt.   Il   n’a   pu   assister   à   ton   mariage   avec   Joseph.   Il   est   mort   la   même   année en 1931. Le   24   novembre   1945   Joseph   a   hérité   à   Sainte-Hélène   de   ses   parents   Renard   / Thomas   plusieurs   lots   dont   un   hagis   aux   Voués,   de   près   à   Vreby,   Pré   de   la   Côte, A la courte Pie, d’un verger Le Village, d’une maison lieu-dit Le Village. Cette maison se situait à cent mètres à peine de celle des parents de Joseph. Quand les boches sont revenus pour la deuxième fois, tu étais à Sainte-Hélène. Joson ton mari était maçon. Quand   il   est   revenu   de   la   guerre   il   était   faible,   pas   de   sang   comme   on   disait,   et   dans   les   Vosges,   être   faible   c’était   boire.   Et   il   buvait   le   Joson   !   Combien d’hommes revenus de la guerre n’ont jamais pu reprendre leur rôle de père et d’époux ! Courageuse et active, tu travaillais pour Josette et ton gendre Hubert, et ensuite pour tes trois petites filles Jocelyne, Chantal et Claude. À   Sainte-Hélène   dans   ta   maison,   on   entrait   chez   Mère-Grand   en   empruntant      l’allée   du   cimetière   et   par   la   porte   couleur   bleu   avec   quelques   barreaux   pour rassurer. On   pénétrait   par   la   cuisine,   la   grande   cuisine   où   une   table   ronde   avec   son   tapis   brodé   et   un   joli   vase   accueillait   le   visiteur.   À   droite   régnait   la   petite   cuisine,   celle que Mère-Grand utilisait. Sur   le   côté   droit   se   trouvait   un   meuble   en   formica   bleu,   puis   son   évier,   plutôt   la   pierre   à   eau.   Mon   père   Hubert   avait   installé   un   robinet   d’eau   froide.   Il   n’y   avait   pas l’eau chaude. Au-dessus de la pierre à eau, une fenêtre donnait sur le potager du voisin. En   face   se   tenait   le   fourneau.   Le   fourneau   toujours   alimenté   servait   de   chauffage,   d’eau   chaude,   de   gazinière,   de   séchoir,   de   machine   à   laver…   Tout l’électroménager de ma Mère-Grand. Ma Grand-Mère se tenait assise près de lui, le dos contre lui. Un   poste   radio   se   trouvait   sur   la   table   avec   sa   toile   cirée   ornées   de   fleurs   printanières.   C’est   là   qu’elle   épluchait   le   journal   chaque   matin.   Juste   deux   chaises c’était   suffisant.   Elle   était   seule,   et   la   voisine   venait   chaque   jour   boire   un   coup   de   café.   Et   à   côté   se   trouvait   le   buffet   garni   de   café,   chocolat   et   autres   saveurs. Les dates de péremption ne servaient à rien. On ne gâche rien. A côté se trouvait le frigidaire avec du beurre que tu allais chercher chez La Pauline . La   p’tite   cuisine   était   le   cœur   de   la   maison,   la   chaleur   partait   de   là   et   faisait   ce   qu’elle   pouvait      pour   atteindre   les   autres   pièces.   Entre   les   deux   cuisines,   plus   de dix degrés parfois les séparaient. C’est   toujours   par-là   que   l’on   entrait.   Une   autre   porte   existait   pourtant,   c’était   la   grange.   La   porte   de   la   grange   donnait   sur   les   lapins,   le   foin,   la   charrette   à herbe,   le   stock   de   charbon,   les   échelles   accrochées   sur   les   blocs   de   pierre.   En   traversant   la   grange,   on   prenait   la   porte,   souvent   verrouillée   depuis   la   grande cuisine et il fallait se baisser ! Parfois l’été Mère-Grand nettoyait les haricots-ramant du jardin, des corbeilles entières à l’entrée de la grange ! Sa   maison   avait   froid   aux   extrémités.   Elle   aurait   été   classé   Z   dans   la   nomenclature   actuelle   du   niveau   énergie   consommée.   L’énergie,   comme   le   sang   dans   les jambes de Valérie, circulait mal. Quand Valérie lavait son carrelage, ses dalles en terre cuite, il se livrait une bataille écharnée du sec contre l’humide. Lorsqu’il pleuvait, le sol était aussi mouillé. À      l’étage   se   trouvait   deux   chambres.   On   y   accédait   par   une   porte   gris-clair   donnant   sur   un   escalier   en   bois   datant   de   1888.   Dans   la   chambre   orientée   vers   le cimetière reposaient de nombreuses pommes du verger durant tout l’hiver. Au rez-de-chaussée se trouvait ta chambre avec un fourneau qui servait aussi de salle à manger. Je revois Joson arpenter les lieux en bougonnant. Plus tard je t’ai installé un téléviseur en couleur avec un magnétoscope. Je t’ai offert une compilation de cassettes vidéo avec Fernandel, Bourvil, les Don Camillo. Tu écoutais aussi des cassettes que j’avais piratées ; tu aimais l’accordéon, les vieilles chansons françaises des années trente, Jacques Lantier, Berthe Sylva…. dans la petite cuisine. Tu chantais les chansons françaises… On n’a pas tous les jours vingt ans ! C’est aujourd’hui dimanche… Un   beau   buffet   meublait   ta   grande   cuisine   avec   plusieurs   services   à   café,   une   collection   de   flacons   en   Baccarat,   un   Renard   en   «   Grés   flammé   » .   Dans   ce buffet, tu sortais chaque dimanche lors de nos visites un gâteau Kouglof avec ses raisins secs et une bouteille de Clairette de Die. Depuis   cette   pièce   avec   une   trappe   on   accédait   à   la   cave   où   tu   stockais   les   pommes   de   terre   de   ton   jardin,   les   bocaux   de   mirabelles,   les   petits   pois   dans   des bouteilles   en   verre.   Cette   cave   où   tu   as   cru   que   c’était   ta   dernière   heure   à   cause   de   la   guerre.   C’était   quelques   heures   avant   l’armistice. Tu   vois   encore   le   regard de ce boche et de sa mitraillette. Et pour finir l’inventaire des pièces habitables, tu avais une cage de perruches vert et bleu qui a fini en bas de laine. Au   fond   de   la   grange   se   trouvait   une   vraie   quincaillerie   où   je   jouais   à   la   marchande   pendant   mes   vacances.   C’est   là   qu’entreposait   Joson   des   boites   de conserves   vides   ou   tous   autres   trésors.   «   C’est   des   vieilleries,   ça   ne   sert   plus   à   rien   » ,   me   disais-tu.      En   face   se   trouvait   son   établi   avec   un   grand   poêle.   Sur   la porte   était   noté   «   JR   ».   À   cause   de   toi,   de   l’atelier,   de   ta   maison,   j’adore   les   quincailleries   de   campagne   et   les   magasins   verts   :   les   sacs   de   graines,   les   outils   de jardinage, les paniers, tout ce bric-à-brac de campagne. Ton regard est là et c’est là qu’est mon aspirine maintenant…
La petite cuisine avec ton frère Paul et sa femme Emma.
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JOSON MON GRAND-PERE JOSON MON GRAND-PERE
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Les parfums, les sourires de Mère-Grand !
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Au fond de la grange se trouvait une vraie quincaillerie où je jouais à la marchande pendant mes vacances. C’est là qu’entreposait Joson des boites de conserves vides ou tous autres trésors. « C’est des vieilleries, ça ne sert plus à rien », me disais-tu.  En face se trouvait son établi avec un grand poêle. Sur la porte était noté « JR ». À cause de toi, de l’atelier, de ta maison, j’adore les quincailleries de campagne et les magasins verts : les sacs de graines, les outils de jardinage, les paniers, tout ce bric-à-brac de campagne. Ton regard est là et c’est là qu’est mon aspirine maintenant…       Tu cultivais la terre pour nourrir ta fille Josette et son mari Hubert avec ses trois filles: pommes de terre, choux de Bruxelles, carottes, petits pois, tomates, haricots-ramant… dans le Petit pré  à deux cents mètres de ta maison.  Tu exploitais aussi un grand champ et un verger. Tu as été tellement privée de tout durant les deux guerres, tu devais en temps de paix faire des provisions pour de nombreux mois. Tout ce que tu mangeais venait de ton labeur.  Tu nous donnais à manger pour que l’on tienne le coup, pour qu’on mange solide… Chaque jour de la semaine, vers douze heures trente, tu guettais le boulanger klaxonnant tout en tube Citroën ;  tu m’achetais une plaque de chocolat à la fraise. J’ai encore son bon parfum dans la bouche. Je me souviens de ton visage lorsque tu m’accueillais chaque samedi. Je venais en vélo depuis Rambervillers. Tes mains comme tes chevilles étaient gonflées par l’eau, par le travail dur que tu as réalisé toute ta vie. Tu as serré les dents et les poings dans ta blouse  plus d’une fois. Pas le choix, obligé de bosser. Tu as largement mérité ta médaille et ta retraite.        Chaque jour et par tous les temps tu faisais douze km à vélo pour aller travailler à la Cristallerie à Rambervillers puis à la Cartonnerie. De temps en temps tu nous apportais même des croissants avant d’aller travailler !          Ma Grand-Mère Valérie à la Cristallerie de Rambervillers Régulièrement avec mes parents on rendait visite à « La Manhie », ta dame de confiance qui gardait Josette petite lorsque tu partais travailler. Je me souviens d’une dame allongée sur son lit d’hôpital, souriante et heureuse de voir Josette. Je ne m’imaginais pas qu’une dizaine d’années plus tard je travaillerai dans cette maison de retraite, au service des « Femmes invalides » ! Tu portais toujours un tablier, souvent bleu marine avec une grande poche où se cachait un énorme mouchoir grand comme une taie d’oreiller. Ensemble les samedis on parlait économie, politique, botanique et tout autre sujet passionnant sans être toujours du même avis. Aussi on refaisait le monde.              C’est vrai que la vie de Mère-Grand se sera déroulée au cours d’une période d’inventions sans précédent dans  l’histoire de l’humanité. Elle est passée du facteur à cheval aux e-mails, des premiers avions en toile à la navette spatiale, de la guerre en pantalon rouge garance à la bombe atomique et l’affaire Dreyfus aux chambres à gaz. Ils ne savent plus quoi inventer… un soupir… et tu retournais  dans ton petit dictionnaire Larousse. Tu étais bilingue, tu parlais couramment le patois vosgien. Je ne comprenais rien, pas un seul mot !                                                  Tu allais avec Julia, une amie de toujours, au repas des Anciens. Julia, se promenait souvent en forêt ; elle t’apportait des brimbelles. Tu faisais des tartes. Tu aimais faire de la cholande (pâte de pommes de terre avec des lardons et de la crème fraiche).           Repas des Aïnés Lorsque je reprenais mon vélo pour rentrer, je pensais souvent à cette semaine de solitude qui t’attendait comme un banc vide. Je t’embrassais beaucoup. Tu me souriais beaucoup. J’avais peur de ne plus te revoir. Toute seule dans ton lit, sans câlins, sans mari. Juste des morts près de ta maison. Mais de quoi a-t-on peur quand la  mort est déjà venue faire ripaille chez soi ? Après la guerre, plus rien ne fait peur… Joson disait : « Je n‘ai peur que de la peur ». Tu avais pour te tenir compagnie aussi un chat. Tu lui faisais du flan à la vanille. Chaque matin tu partais à la rosée vers six heures avec ta charrette et la faux couper de l’herbe pour tes lapins. Joson puis des amis venaient affûter la faux. Les lapins ! Tu refusais que l’on regarde Le Louis Colin saigner le lapin  puis le dépouiller.  Mais j’ai tout vu, le lapin nu et le gris-vert -rose des viscères qui sortent comme un ressort mou. Le Louis leur laissait des chaussettes de poils… Combien de lapins ai-je mangé durant mon enfance ! Lorsque tu avais besoin de retirer de l’argent de ta retraite, ton code était de suspendre un torchon sur le volet de ta cuisine. Le tube de la Caisse d’Épargne s’arrêtait et venait chez toi. Il déposait sa sacoche et racontait le pire et le meilleur de ce qui arrive aux uns et autres. Quand le facteur était en congé, il prenait soin d’avertir son remplaçant des habitudes du coin. Son boulot ne consistait pas à fournir des doses de lettres aux boites, il déchiffrait le torchon ou le sac plastique pendu aux portails des maisons. Il savait lire les fenêtres. Chaque dimanche matin à l’Église Saint-Georges à  vingt mètres de chez toi, tu te rendais à la messe. Les hommes s’installaient à droite et les femmes à gauche. Valérie portait un voile noir sur sa tête pour couvrir ses cheveux gris. Tu en as connu des prêtres ! Les Pères Chavame, Baudi, Marquaire, Fimbry ! Des paroles houleuses  se sont fait entendre plus d’une fois à l’Église Saint-Georges ! Les samedis, nous avons beaucoup, beaucoup parlé ensemble. Un jour avec Maman, nous sommes venus et t’avons invité à Rambervillers déjeuner le vendredi, je crois. Il me semble que Maman voulait te cuisiner du saumon. Mais déjà tu te cachais pour vomir du sang. « Ce n’était rien », tu disais. Et puis, le mercredi tu es parti à l’hôpital à Épinal car tu as eu très mal au ventre. Avec Maman nous sommes venus te voir dans ton lit d’hôpital. Le médecin avait dit « Malgré son âge nous l’avons opéré d’un ulcère à l’estomac mais nous ne pouvons rien faire ». Tu as tenu le choc de l’opération. Tu nous as reconnu toutes les deux ; tu as été heureuse que l’on puisse toutes les trois se dire au-revoir. Le samedi suivant  8 octobre 1994 la bactérie hélicobactère pyloria a été plus forte que toi. Tu n’avais pas peur de la mort. Tu avais peur que l’État arrête de verser ta retraite et la pension de Pépère. Tu savais que tu allais te reposer à deux mètres de ta maison. Tu voulais une tombe fleurie mais uniquement de  bleu, pas d’autres couleurs. Cela fait plus de vingt ans que ton souhait est accompli.
Ma Grand-Mère VALERIE SUITE SUITE

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