© CDHS - SAINT-CLEMENT - 2019
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Bienvenue
sur l’Espace de…
« Joson et La Poux »
Les parfums,
les sourires de Mère-Grand !
Tu
cultivais
la
terre
pour
nourrir
ta
fille
Josette
et
son
mari
Hubert
avec
ses
trois
filles:
pommes
de
terre,
choux
de
Bruxelles,
carottes,
petits
pois,
tomates,
haricots-ramant…
dans
le
Petit pré
à deux cents mètres de ta maison. Tu exploitais aussi un grand champ et un verger.
Tu
as
été
tellement
privée
de
tout
durant
les
deux
guerres,
tu
devais
en
temps
de
paix
faire
des
provisions
pour
de
nombreux
mois.
Tout
ce
que
tu
mangeais
venait
de
ton
labeur.
Tu nous donnais à manger pour que l’on tienne le coup, pour qu’on mange solide…
Chaque
jour
de
la
semaine,
vers
douze
heures
trente,
tu
guettais
le
boulanger
klaxonnant
tout
en
tube
Citroën
;
tu
m’achetais
une
plaque
de
chocolat
à
la
fraise.
J’ai
encore
son bon parfum dans la bouche.
Je
me
souviens
de
ton
visage
lorsque
tu
m’accueillais
chaque
samedi.
Je
venais
en
vélo
depuis
Rambervillers.Tes
mains
comme
tes
chevilles
étaient
gonflées
par
l’eau,
par
le
travail
dur
que
tu
as
réalisé
toute
ta
vie.
Tu
as
serré
les
dents
et
les
poings
dans
ta
blouse
plus
d’une
fois.
Pas
le
choix,
obligé
de
bosser.
Tu
as
largement
mérité
ta
médaille
et
ta
retraite.
Chaque
jour
et
par
tous
les
temps
tu
faisais
douze
kilomètres
à
vélo
pour
aller
travailler
à
la
Cristallerie
à
Rambervillers
puis
à
la
Cartonnerie.
De
temps
en
temps
tu
nous
apportais
même des croissants avant d’aller travailler !
Régulièrement
avec
mes
parents
on
rendait
visite
à
«
La
Manhie
»,
ta
dame
de
confiance
qui
gardait
Josette
petite
lorsque
tu
partais
travailler.
Je
me
souviens
d’une
dame
allongée
sur
son
lit
d’hôpital,
souriante
et
heureuse
de
voir
Josette.
Je
ne
m’imaginais
pas
qu’une
dizaine
d’années
plus
tard
je
travaillerai
dans
cette
maison
de
retraite,
au
service
des « Femmes invalides » !
Tu portais toujours un tablier, souvent bleu marine avec une grande poche où se cachait un énorme mouchoir grand comme une taie d’oreiller.
Ensemble les samedis on parlait économie, politique, botanique et tout autre sujet passionnant sans être toujours du même avis.
Aussi on refaisait le monde.
C’est
vrai
que
la
vie
de
Mère-Grand
se
sera
déroulée
au
cours
d’une
période
d’inventions
sans
précédent
dans
l’histoire
de
l’humanité.
Elle
est
passée
du
facteur
à
cheval
aux e-mails, des premiers avions en toile à la navette spatiale, de la guerre en pantalon rouge garance à la bombe atomique et l’affaire Dreyfus aux chambres à gaz.
Ils
ne
savent
plus
quoi
inventer…
un
soupir…
et
tu
retournais
dans
ton
petit
dictionnaire
Larousse.
Tu
étais
bilingue,
tu
parlais
couramment
le
patois
vosgien.
Je
ne
comprenais
rien,
pas un seul mot !
Tu allais avec Julia, une amie de toujours, au repas des Anciens.
Julia, se promenait souvent en forêt ; elle t’apportait des brimbelles.
Tu faisais des tartes.
Tu aimais faire de la
cholande
(pâte de pommes de terre avec des lardons et de la crème fraiche).
Lorsque
je
reprenais
mon
vélo
pour
rentrer,
je
pensais
souvent
à
cette
semaine
de
solitude
qui
t’attendait
comme
un
banc
vide.
Je
t’embrassais
beaucoup.
Tu
me
souriais
beaucoup. J’avais peur de ne plus te revoir.
Toute
seule
dans
ton
lit,
sans
câlins,
sans
mari.
Juste
des
morts
près
de
ta
maison.
Mais
de
quoi
a-t-on
peur
quand
la
mort
est
déjà
venue
faire
ripaille
chez
soi
?
Après
la
guerre,
plus rien ne fait peur…
Joson disait :
« Je n‘ai peur que de la peur ».
Tu avais pour te tenir compagnie aussi un chat. Tu lui faisais du flan à la vanille.
Chaque
matin
tu
partais
à
la
rosée
vers
six
heures
avec
ta
charrette
et
la
faux
couper
de
l’herbe
pour
tes
lapins.
Joson
puis
des
amis
venaient
affûter
la
faux.
Les
lapins
!
Tu
refusais
que
l’on
regarde
Le
Louis
Colin
saigner
le
lapin
puis
le
dépouiller.
Mais
j’ai
tout
vu,
le
lapin
nu
et
le
gris-vert-rose
des
viscères
qui
sortent
comme
un
ressort
mou.
Le
Louis
leur laissait des chaussettes de poils…
Combien de lapins ai-je mangé durant mon enfance !
Lorsque
tu
avais
besoin
de
retirer
de
l’argent
de
ta
retraite,
ton
code
était
de
suspendre
un
torchon
sur
le
volet
de
ta
cuisine.
Le
tube
de
la
Caisse
d’Épargne
s’arrêtait
et
venait
chez toi. Il déposait sa sacoche et racontait le pire et le meilleur de ce qui arrive aux uns et autres.
Quand
le
facteur
était
en
congé,
il
prenait
soin
d’avertir
son
remplaçant
des
habitudes
du
coin.
Son
boulot
ne
consistait
pas
à
fournir
des
doses
de
lettres
aux
boites,
il
déchiffrait
le
torchon ou le sac plastique pendu aux portails des maisons. Il savait lire les fenêtres.
Chaque
dimanche
matin
à
l’Église
Saint-Georges
à
vingt
mètres
de
chez
toi,
tu
te
rendais
à
la
messe.
Les
hommes
s’installaient
à
droite
et
les
femmes
à
gauche.
Valérie
portait
un
voile
noir
sur
sa
tête
pour
couvrir
ses
cheveux
gris.
Tu
en
as
connu
des
prêtres
!
Les
Pères
Chavame,
Baudi,
Marquaire,
Fimbry
!
Des
paroles
houleuses
se
sont
fait
entendre plus d’une fois à l’Église Saint-Georges !
Les samedis, nous avons beaucoup, beaucoup parlé ensemble.
Un jour avec Maman, nous sommes venus et t’avons invité à Rambervillers déjeuner le vendredi, je crois. Il me semble que Maman voulait te cuisiner du saumon.
Mais déjà tu te cachais pour vomir du sang.
« Ce n’était rien »,
tu disais.
Et puis, le mercredi tu es parti à l’hôpital à Épinal car tu as eu très mal au ventre. Avec Maman nous sommes venus te voir dans ton lit d’hôpital.
Le
médecin
avait
dit
«
Malgré
son
âge
nous
l’avons
opéré
d’un
ulcère
à
l’estomac
mais
nous
ne
pouvons
rien
faire
».
Tu
as
tenu
le
choc
de
l’opération.
Tu
nous
as
reconnu
toutes
les deux ; tu as été heureuse que l’on puisse toutes les trois se dire au-revoir.
Le samedi suivant 8 octobre 1994 la bactérie hélicobactère pyloria a été plus forte que toi.
Tu n’avais pas peur de la mort. Tu avais peur que l’État arrête de verser ta retraite et la pension de Pépère.
Tu
savais
que
tu
allais
te
reposer
à
deux
mètres
de
ta
maison.
Tu
voulais
une
tombe
fleurie
mais
uniquement
de
bleu,
pas
d’autres
couleurs.
Cela
fait
plus
de
vingt
ans
que
ton souhait est accompli.
Tu avais rendez-vous au paradis avec le Bon Dieu.
Tu pouvais partir tranquille, on s’en sort, ni riche, ni pauvre. On est là sur cette terre avec de quoi tenir dans ce monde difficile.
On sait d’où l’on vient maintenant.
On a un toit à jamais, une terre pour toujours.
On eut mettre un doigt sur la carte mondiale des sentiments et se dire « Je viens de là ».
Mère-Grand, ma Grand-Mère Valérie, tu as rendez-vous, tu peux partir en vacances pour la première fois de ta vie.
On sait faire des choses grâce à toi.
Je
connais
grâce
à
toi
la
vie
qui
pousse
derrière
les
murs,
cette
vie
d’herbes
longues
comme
la
pluie,
cette
vie
avec
sa
multitude
de
mots,
d’idées,
de
pensées.
Je
connais
l’endroit exact où poussent les secrets, je connais la saveur de ta cuisine et ses arômes, ta salade de tomates unique au monde.
Je suis sûre que tu es arrivée au paradis avec une poignée de pommes de terre, de tomates, de pommes et du café pour poser tout çà sur le bureau du Bon Dieu.
Pas de trajet à vide, y compris le dernier.
Mission accomplie Mère-Grand.
J‘espère
là-bas
que
tu
prends
le
temps
de
t’occuper
de
tes
mains
enflées
par
les
rhumatismes
et
par
l’eau.
J’espère
aussi
que
tu
as
un
petit
arpent
de
terre
sainte
pour
t’occuper…
Ma Grand-Mère Valérie
à la Cristallerie de Rambervillers
Repas des Aïnés