© CDHS - SAINT-CLEMENT - 2019
© CDHS - SAINT-CLEMENT - 2019
Bienvenue
sur l’Espace de…
« Joson et La Poux »
L’attente interminable
Le temps est fait d’un passé heureux qu’on essaie d’oublier parce qu’il fait mal en comparaison ; d’un présent misérable qu’on ne demande qu’à voir finir ; et sans avenir, car on ne sait jamais quand celui-ci commencera enfin.
« Je suis prisonnier. Je suis privé de liberté.
L’Allemagne est un pays comme la France avec des gens bons et honnêtes et d’autres sont des crapules et des meurtriers »
déplorait Joson.
Le ciel de Tüzen
À
Tüzen,
depuis
quelques
temps,
Joson
et
ses
camarades
voient
passer
des
forteresses
volantes,
et
on
leur
interdisait
de
faire
des
signes.
Plus
on
avançait
plus
on
en
voyait
et
l'année
1944
fut
prolifique.
Beaucoup
d'avions,
des
forteresses volantes ! Mais pas de bombardement dans ces zones de montagnes qui n'abritaient rien de stratégique. On attendait les armées alliées.
La rumeur enfle au Stalag IIE
C
e n'est plus une rumeur, des prospectus en huit langues étaient largués sur les villages. Ils provenaient des armées alliées et disaient entre autre
«
Vos employeurs sont responsables de votre bien être jusqu'à notre arrivée ».
Les alliés approchent. Certains hommes qui ont eu des responsabilités dans l'administration partent, laissant les fermes aux mains des femmes.
Et puis les Américains accompagnés d'Italiens qui remontent d'Italie sont à Klagenfurt, dit-on.
La libération de la France isole à nouveau Joson et les P.G. de leur pays et de leurs familles. Pendant des mois, colis et lettres ne sont plus acheminés de la France vers l’Allemagne.
Une fin terrible
C
ela
allait
mal,
en
effet,
pour
les
Allemands
;
mais
cela
allait
mal
aussi
pour
nombre
de
P.G.
La
fin
sera
terrible.
Bien
des
signes
précurseurs
le
laissent
prévoir.
Beaucoup
ne
reverront
pas
la
France.
«
Et
c’est
pour
nous
le
front
qui
recommence ! »
dit Joson.
Les
bombardements
commencent.
Il
y
a
eu
dix
baraques
de
brûlées
et
vingt
copains
morts.
Joson
n’a
rien
eu
encore
et
il
a
pu
sauver
sa
peau.
Il
serait
temps
que
çà
finisse
;
nuit
et
jour
la
terre
tremble.
Joson
n’est
pas
encore
sorti
de
l’enfer.
Le
nombre
des
P.G.
victimes
de
bombardements
est
très
importants
et
on
imagine
le
drame
qu’il
représente,
dans
cette
terre
d’exil
et
aux
approches
de
la
libération,
non
seulement
pour
eux,
mais
pour
leurs
camarades.Hitler
se
suicide
le 30 avril 1945.
Trois
jours
plus
tard,
le
jeudi
3
mai
1945,
les
Russes
arrivent
et
les
P.G.
les
accueillent
à
bras
ouverts,
comme
les
villageois
Français
ont
accueillis
quelques
mois
plus
tôt
les
Américains.
Les
Russes
étaient
beaux,
sales
et
fiers.
Ils
nous
ont
dit
:
«
Ne
bougez
pas,
les
gars,
des
camions
vont
venir
vous
chercher
avec
du
ravitaillement,
demain…
».
Si
les
quelques
nuits
précédentes
avaient
été
calmes,
par
contre
celle-ci
a
été
troublée
par
des
roulements
de
camions,
de
blindés, des claquements de mitraillettes, les mille bruits d’une armée en marche. Aucun doute, les Russes sont là ! Ils sont arrivés ! Ils ne sont pas encore dans notre camp mais cela ne saurait tarder.
Dès la petite aurore, Joson voit des gars fabriquer des drapeaux français rudimentaires, qu’ils accrochent aux façades du camp.
L’attente est interminable. De temps à autre, une rafale de mitraillette, au loin… On entend le vent qui souffle. Les prisonniers attendent pâles… Le sort en est jeté…
Tout
à
coup,
tel
un
coup
de
tonnerre,
des
hurlements
sauvages
éclatent,
ponctués
de
salves
de
mitraillettes…
C’est
l’assaut
!
À
travers
les
planches
disjointes,
Joson
voit
en
un
éclair
une
vingtaine
de
Russes
se
ruer
dans
le
camp
en
hurlant. Ils sont vêtus de vestes ouatées gris-vert, chaussés de bottes de feutre gris.
Un
P.G.
qui
se
trouve
près
de
la
porte,
l’ouvre
et
sort,
mains
en
l’air.
Joson
et
ses
camarades
sortent
tous.
Tout
cela
s’est
passé
en
quelques
minutes.
Trois
ou
quatre
Popoff
se
précipitent
sur
eux
mitraillettes
braquées.
Ce
sont
des
Mongols,
et
ils
sont
ivres.
Ils
puent
l’alcool
à
trois
mètres.
Un
P.G.
voit
son
képi
rouge
changer
de
tête,
sa
montre
bracelet
lui
est
arrachée
!
Joson
voit
avec
stupeur,
quand
ils
lèvent
les
bras,
que
ceux-ci
sont
couverts
au-delà
des
coudes,
sous
la
veste,
de
toutes
les
montres
qu’ils
ont
pu
«
trouver
».
Le
Ruskoff
fouille
Joson
fébrilement
son
petit
livre,
son
canif,
puis
ils
lui
font
comprendre
qu’ils
veulent
«
Capote
»
!
Tout
cela
avec
le
canon
sur
le
ventre
et
le
doigt
sur
la
gâchette. Joson avoue qu’il n’en mène pas large.
Sans
capote,
par
ce
froid,
c’est
la
mort
inéluctable
!
Comment
faire
comprendre
à
cet
ivrogne
une
vérité
dont
il
se
fout
éperdument
?
Parmi
nous,
personne
à
ma
connaissance
ne
parle
russe,
et
tout
ce
que
nous
pouvons
bredouiller,
c’est
: « Fransouzki, camarade ! »… Attention, ce n’est pas le moment de prononcer le moindre mot d’allemand !
Autour
de
moi,
les
Russes
font
la
razzia,
fouillent
toutes
les
poches,
prennent
les
ceinturons
et
tout
ce
qui
brille
:
chaînettes,
bagues
de
cuivre
que
certains
avaient
confectionnées
au
camp,
porte-mines,
insignes,
etc.
et
le
Mongole
tire
toujours
sur
la
capote
de
Joson
!
Il
la
veut
!
Seul,
un
miracle
peut
le
sauver.
Joson
fixe
intensément
son
doigt
sur
la
gâchette,
et
il
ne
puit
qu’attendre
qu’il
appui
!....
Ah,
les
amis,
cet
instant
dure
une
éternité
!...
Il
ne
pense
même
pas
à
Valérie et à Josette… Non, uniquement à ce doigt sale, à ce canon noir sur le nombril, à cette puanteur d’alcool…
Et
le
miracle
se
réalise,
sous
la
forme
d’un
simple
mot.
C’est
un
P.G.
qui
le
prononce.
Il
est
là,
à
gauche
de
Joson,
légèrement
en
retrait
lui
aussi
un
canon
au
creux
de
l’estomac.
Il
a
vu
et
compris
toute
la
scène.
Il
dit
simplement
«
Djimmo
!
Djimmo ? ».
C’est tout, mais c’est assez. « Le » Russe le regarde, lâche Joson… et passe à un autre.
Les
P.G.
restent
là,
hébétés,
bras
en
l’air,
tandis
que
d’autres
Russes
arrivent
en
courant,
et
les
fouillent
à
leur
tour.
Mais
leurs
copains
ont
tout
raflé,
et
ils
ne
trouvent
plus
rien
qui
les
intéressent…
Ni
montres,
ni
bagues,
ni
couteaux,
ni
ceintures…
et
les
P.G.
risquent
maintenant
de
se
faire
flinguer
par
dépit
!
Et
toujours
cette
odeur
d’alcool,
vers
les
P.G.
qui
avaient perdu cela depuis tant d’années…
Des
hurlements
éclatent
!
Ils
ont
trouvé
les
femmes
!
Ils
se
précipitent
et
les
entrainent
sauvagement
à
coup
de
crosse,
de
pieds,
de
poings,
ils
les
couchent
à
terre
et
les
violent
dans la neige, toutes cotes retroussées… Joson a fermé les yeux.
Joson
et
ses
camarades
rentrent
dans
la
baraque,
défaits,
muets,
impuissants
.
«
Je
sais,
c’est
la
guerre.
Je
ne
veux
être
témoin
!
Ne
pas
juger
!
Je
me
cramponne
à
cette
idée.
Qui
sait,
en
effet,
ce
que
les
Allemands
ont
fait
aux
femmes
russes,
aux
polonaises,
aux
tchécoslovaques
?
Ne
pas
juger
!
C’est
dur
!
Étouffer
toute
révolte
inutile
!
Ne
pas
entendre
les
hurlements,
fermer
ses
oreilles
aux
coups
de
feu
qui
terminent
ces
horreurs…
Oublier
volontairement
ces
femmes
que
l’on
massacre,
la
tête
contre
les
murs…
Ne
pas
juger,
c’est
tout
ce
que
nous
pouvons
faire.
Ne rien voir, ne rien dire, ne rien entendre, comme ces trois singes chinois, symboles de la sagesse. C’est affreux. Oublierai-je jamais ? »
médite Joson.
Après les Popoffs tirent en l’air en signe de victoire. Voilà comment Joseph Renard, mon Grand-Père, a été libéré du stalag.
L'
Allemagne capitule sans conditions
(7-8 mai 1945).